La Nature faite pour Dürer, commissariat d’Edwart Vignot 
 
Avec des œuvres de Martine Aballéa, Alfrida Baadsgaard, Maxime Biou, Benoît Blanchard, Brodbeck & de Barbuat, Damien Cadio, Mircea Cantor, Philippe Cognée, Josué Comoe, Sebastian Cramer, Gaël Davrinche, Nicolas Dhervillers, Frédéric Leduc, Théo Mercier, Bruno Peinado, Anne et Patrick Poirier, Eric Poitevin, Pierre-Joseph Redouté (atelier de), Valérie Sonnier, Morgane Tschiember et Wang Suo Yuan.

© Nicolas Dhervillers. Courtesy School Galery et Dilecta

Comme un hommage rendu à notre Mère Nature, cette exposition a pour vocation de questionner l’humain sur son rôle dans la dramatique accélération de son anéantissement ; non seulement celui qui mêle la faune et la flore mais également celui-là même qui le touche directement dans sa chair et dans sa psyché. Un suicide à petit feu qui met à mal jour après jour la beauté du divin si bien développé par Spinoza et dont l’artiste Albrecht Dürer, près d’un siècle et demi avant lui, avait su créer de visu une image à travers une simple motte d’herbes sauvages déracinée et rendue paradoxalement immortelle par la maestria de son art de l’aquarelle. Les œuvres choisies ont pour vocation de sublimer cette nature, en la rendant tour à tour délicate, puissante ou menaçante mais aussi incongrue, inquiétante ou tout simplement belle. À travers les techniques que sont le dessin, la peinture, la sculpture ou bien encore la photographie, émerveillons-nous de ces grâces végétales ou autres extraits de nature, dans lesquels nos artistes sont allés puiser leurs inspirations afin de partager leurs ressentis, leurs inquiétudes ou tout simplement leurs extases… L’exposition présentée chez Dilecta prend ses racines dans une souche d’herbes sauvages, une aquarelle exécutée par Dürer en 1503. En observant et étudiant ce chef d’œuvre avec précision, une lecture autre que purement botanique se fait jour : la source du divin prend soudainement forme sous nos yeux. Pour assurer à jamais sa vision naturaliste et humaniste, son auteur a sacrifié son modèle en le retirant de la terre afin de pouvoir mieux l’observer et l’immortaliser dans son propre atelier. Mourir pour atteindre l’immortalité, paradoxe des paradoxes, c’est ainsi que se pose le postulat de cette réunion d’œuvres dans laquelle pourtant, et volontairement, ne se trouve qu’une seule figure humaine. Cette figure nue et recroquevillée sur elle-même en pleine nature est celle que nous offre dans sa grande photographie Nicolas Dhervillers. Intitulée Uncertain Fates [Destins incertains], cette pièce ouvre notre bal consacré à un thème largement floral et dans lequel l’humain est pourtant central et capital. Capital, car c’est par lui que la nature pourra ou non continuer à vivre et à nous enchanter. Au centre de sa composition, la femme apparaît tel un fœtus dans un milieu presque plus organique que végétal, une nature responsable de la naissance de l’humanité et pourtant désormais menacée d’extinction par ses propres enfants.

© Benoit Blanchard. Courtesy Dilecta

Dans notre herbier idéal, voire patrimonial, seront épinglées des créations de Gaël Davrinche, de grandes fleurs pantomimes semblant lutter contre le déchaînement d’un vent hostile, implacable. Elles seront visibles et en bonne place à côté des fleurs aquarellées provenant de l’atelier de Pierre-Joseph Redouté, un des plus grands maîtres en la matière et datant du début du XIXe siècle ; période de l’histoire de l’art à laquelle un hommage subtil sera rendu – non plus à la France mais à l’Allemagne de Phillip Otto Runge – grâce aux anémones en camaïeu de gris de Benoît Blanchard. Un somptueux ensemble de douze portraits de plantes inventées par Anne et Patrick Poirier, une composition historiée de Brodbeck et de Barbuat, des fleurs aux reflets métalliques de Josué Comoe ainsi que deux enluminures du XVe parachèveront notre voyage en partie chlorophyllien. Mircea Cantor, à travers sa plume et son pinceau chargés d’encre noire, donnera à ses abeilles de quoi contenter leur reine – et nous par la même occasion. Et, en parfaite symbiose, nous nous régalerons devant cette coulée de miel en trois dimensions qu’exposera Morgane Tschiember.

© Mircea Cantor. Courtest Dilecta, photo : Nicolas Brasseur

Quant aux fleurs de Philippe Cognée et de Sebastian Cramer, appartiennent-elles encore vraiment au monde végétal ? Leur aspect plus organique devrait nous troubler – ce sera à vous et rien qu’à vous d’en juger. 
Le retour à la douceur se fera par un tondo signé Wang Suo Yuan dont le rendu cosmique nous emmènera loin de nos pensées premières. Nous traverserons également des univers parallèles, en nous abandonnant, en nous perdant dans les collages fantasmagoriques et extatique nés de l’imagination et des ciseaux de Frédéric Leduc.
D’autres compositions seront à découvrir sur nos murs. Mais détrompez-vous, car sous leurs formes classiques, ces dernières peuvent se montrer plus vénéneuses et inquiétantes qu’elles ne le sont, à l’instar de ce tableau de Damien Cadio, cette huile de 1881 d’Alfrida Baadsgaard ou encore ces deux obscures photographies de Nicolas Dhervillers. 
Place sera faite également, dans les objets de Théo Mercier et Bruno Peinado, à la Nature dans ce qu’elle peut nous offrir de plus décalé et d’inattendu. Et parfois, au classicisme d’un simple pot de fleur magistralement mis en terre par Maxime Biou viendra se greffer une mise en scène qui aura pour but de reconsidérer la place de l’œuvre d’art dans notre champ de vision formel et conventionnel. 
Une nature qui côtoie et encercle souvent bien évidement le monde des humains se verra évoquée grâce aux travaux de Valérie Sonnier et Martine Aballéa : graphiques et fantomatiques. 
Enfin, la Nature dans tout ce qu’elle représente de plus pur et de plus classique sera mise à l’honneur à travers les photographies d’Eric Poitevin dont le cerf mort et les herbes folles clôtureront, avec gravité et élégance, cette exposition intitulée « La Nature faite pour Dürer ». Quand l’humain rend hommage à sa mère nourricière… elle le fait par deux fois et par bien plus encore !

Edwart Vignot, historien de l’art 

© Anne & Patrick Poirier. Courtesy Dilecta, photo : Nicolas Brasseur

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