Les dessins de Mircea Cantor captent l’attention par leur grâce énergique qui fait écho au reste de sa pratique artistique. Comme galeristes, et notamment lors de foires comme la FIAC, nous sommes en première ligne pour observer les réactions des visiteurs à telle ou telle œuvre exposée sur notre stand. En présentant les dessins de la série « Aquila non capit muscas » au Grand Palais en octobre 2019, nous avons constaté deux cas de figure : un intérêt provenant des visiteurs connaissant le travail de l'artiste mais interpellés par sa pratique souvent méconnue du dessin. Le second, en revanche, relevait d’un phénomène qui nous réjouit toujours : le coup de cœur ! C’est l'œuvre seule qui arrête le regard et provoque l’attention.

 

« Nulla dies sine linea ». Mircea Cantor prend Pline l’Ancien au mot. Il dessine depuis sa jeunesse, chaque jour, noircissant des carnets entiers de croquis sur le vif, réalisant des esquisses et notant des impressions passagères. Par cette régularité, ses dessins sont intimement liés à sa vie et au reste de sa production. Ils sont représentatifs de l’ensemble de son œuvre et témoins de ses questionnements, de ses recherches, de sa sensibilité ; une sorte de carnet, entre journal de bord et journal intime. Dessiner en permanence est aussi un moyen de s’approprier l’objet et la réalité plus largement, nous dit-il. Car ses dessins, il ne les retouche ni ne les reprend jamais mais recommence encore et encore dans sa recherche effrénée du trait juste jusqu’à obtention d’un motif qui doit tenir de l’évidence. À la pureté formelle s’ajoute un intertexte qui enrichit les œuvres de l’artiste d’une portée symbolique, d’un sens sous-jacent. Dans la série « Masks » présentée au musée de la Chasse en 2018, les dessins entraient en résonance avec leurs modèles, une centaine de masques zoomorphes issus de traditions du nord de la Roumanie [images]. Masques-costumes en forme de chèvre, de tête d’ours, de renard mais aussi de « marchand radin » ou de « cocu » sont autant de clins d’œil à l’art populaire de son pays natal et à sa propre enfance – plus spécifiquement, ses vacances à la campagne où il dessinait les vaches et les cochons, ainsi que sa grand-mère.

 

Mircea Cantor utilise des pinceaux et de l’encre de chine, parfois du fusain, la fumée d’une bougie ou encore du vin, et dessine d’un trait, sur des supports variés (kraft, papier canson), rappelant les gestes de la calligraphie japonaise et chinoise, intimement reliés à la respiration et aux états d’âme du créateur. Le résultat est une œuvre éthérée, radicale, orientalisante parfois, que les visiteurs projettent facilement dans un intérieur (plus facilement en tout cas que ses installations qui s’enflamment !). Les contours parfois fictifs, suggestifs, laissent place à l’imagination de chacun. Derrière l’ours, la biche ou le lion de la série « Bellum & Maternitas » où Mircea représente tantôt l'instinct maternel, tantôt la violence des prédateurs, l'œil recrée la banquise et la forêt, le moment d’avant et ce qu’il adviendra ensuite [images].

 

Mais cette capacité à stimuler notre imagination vient aussi de sa maîtrise du rendu du mouvement. Les dessins qu’il réalise pour illustrer les programmes de l’Opéra de Paris en 2019 s’inscrivent dans cette recherche. Mircea investit les salles de répétitions où il capte les gestes des danseurs, chanteurs, chorégraphes et metteurs en scène, portant son regard singulier d’esthète sur le répertoire. La rapidité d’exécution à laquelle il est contraint face à la scène de danse, les répétitions, les corps qui se plient, se tendent, tournent sur eux-mêmes implique de sélectionner parmi les enchaînements dynamiques pour extraire un motif. Le dessin devient alors l’empreinte visuelle de ce que Mircea a vu. [image] Et de la même manière que nous sentions précédemment le souffle de la forêt ou le froid de la banquise, c’est la musique d’Otello ou du Lac de cygnes qui résonne à présent. En somme, Mircea a l’élégance de nous permettre de s’évader un instant en contemplant son œuvre. Comment résister à la perspective de voyager de son salon...

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La suggestion du galeriste : redécouvrir des dessins d’Alexandre Calder

Comme Mircea Cantor, Alexandre Calder n’est pas reconnu en premier lieu pour ses dessins mais plutôt pour ses célèbres mobiles, sculptures abstraites en tiges et plaques articulées. Pourtant, il est l’auteur de nombreuses esquisses d'animaux publiées en 1926 sous le titre Animal sketching. Réalisées pour la presse, ces études sur le mouvement représentent des animaux du zoo du Bronx et de Central Park. Dessins au pinceau, exécutés sur le vif, animaux pour sujets… La tentation d’un rapprochement est grande et nous profitons donc de l’occasion pour vous inviter à découvrir les dessins d’Alexandre Calder.

 

Et pour finir : quelques mots de l’artiste

Lorsqu'il y a une véritable rencontre avec une œuvre, c’est comme entre deux personnes et c’est un jeu. On peut passer du temps au téléphone ou à s’écrire des SMS, puis on se voit pour se parler, alors, il y a un transfert d'énergie et d’émotion.

 

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Pour en savoir plus :

Sur les dessins de l’opéra de Paris

Sur le livre Bellum & Maternitas aux Éditions Francès  

Voir un extrait de la vidéo Deeparture

Voir la video Aquila non capit muscas

Sur la technique de dessin de Mircea Cantor      

Sur Alexandre Calder, Animal sketching aux Éditions Dilecta    

 

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Exposition rétrospective de dessins « Nulla dies sine linea » (Aucun jour sans une ligne) aux éditions Dilecta, du 18 mars au 17 mai 2021

Date

Début : jeudi 18 mars 2021 00:00

Fin: samedi 19 juin 2021 00:00


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