C’est l’événement culturel majeur du printemps parisien, François Pinault installe sa collection à la Bourse de Commerce, en plein quartier des Halles, à partir du 22 mai. Paris se dote ainsi d’un nouveau lieu de rendez-vous incontournable avec l’art d’aujourd’hui. L’industriel breton portait ce rêve depuis longtemps. Ayant installé ses musées à Venise depuis 2006 au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana, l’homme d’affaires a toujours désiré que sa collection d’art contemporain, l’une des plus importantes au monde, trouve aussi sa place à Paris, « patrie naturelle des artistes ». La maire de Paris, Anne Hidalgo, lui a proposé d’investir une architecture patrimoniale conforme à ses ambitions, magistralement repensée pour ses nouvelles fonctions par l’architecte Tadao Ando. Les six raisons de s’y intéresser…

Une architecture d’exception

Compagnon de route de François Pinault pour qui il a déjà conçu les espaces vénitiens de la collection, l’architecte Tadao Ando l’accompagne dans cette nouvelle étape de son projet culturel. Mondialement connu pour son parti pris de sobriété, c’est guidé par la circulation de la lumière dans le plan circulaire de la Bourse de Commerce qu’il conçoit la transformation de ce bâtiment patrimonial du 18e siècle dont il souligne ainsi la beauté. Il en théâtralise les effets en plaçant un cylindre en béton à l’intérieur de sa rotonde coiffée d’une imposante verrière. Un jeu de cercles concentriques laisse entrevoir l’ancien bâtiment, des escaliers circulaires desservent les galeries sur trois niveaux et en multiplient les points de vue. En dessous de la verrière centrale, une frise d’époque illustrant le commerce français à travers les cinq continents rappelle les premiers temps de la mondialisation. Dans ce bâtiment, qui est aussi une représentation de la richesse générée par la colonisation, une place décisive a été faite aux enjeux postcoloniaux avec pour figure de proue les œuvres des artistes africains-américains David Hammons et Kerry James Marshall, dont l’influence sur la scène artistique contemporaine est majeure.

Des œuvres qui jouent avec l’exposition et le regard

La programmation d’ouverture de la Bourse de Commerce est représentative d’une collection qui intègre tous les médiums artistiques (peinture, sculpture, photographie, vidéo, performance) et des artistes issus du monde entier. Les œuvres se découvrent lors d’expositions collectives qui articulent des regards portés sur la représentation de soi, l’identité et le genre en un dialogue intergénérationnel. Les projets artistiques monographiques jouent quant à eux sur l’histoire de la Bourse de Commerce ou sur leur relation au musée comme institution et à l’exposition comme exercice de (dé)monstration. À l’honneur dans la rotonde, célèbre pour ses sculptures en cire qu’il fait fondre le temps de leur exposition, le sculpteur suisse Urs Fischer oppose à la magnificence des lieux un monde en déliquescence. Il dresse le portrait d’un artiste en proie aux soubresauts du monde, compromis dans sa cohérence et sa pérennité, et celui d’un art qui expose tous les registres intermédiaires de ses transformations jusqu’à la destruction. À la sortie de la rotonde s’alignent les vingt-quatre vitrines construites pour l’Exposition universelle de 1889. Bertrand Lavier les a investies pour y exposer ses sculptures, faisant ainsi jouer la relation historiquement ambiguë entre art et marchandise, sculpture et objet, œuvre d’art et décor. Autre temps fort de la programmation avec David Hammons, artiste africain-américain dont la poésie et la radicalité de la pratique artistique s’inventent dans les rues de New York, notamment par collages et prélèvements d’objets de rebut. Tatiana Trouvé sidère par un univers d’objets sculptés, suspendu et sophistiqué, une atmosphère d’étrangeté faite de trompe-l’œil, de faux-semblants et de pièges pour le regard. Notre présence physique est mise en valeur au sein de ces objets muets, constamment interrogée, défiée. Impertinente et insaisissable, Lili Reynaud Dewar trouve bien sa place dans le hall de l’escalier 18e siècle, entre les espaces d’exposition. Elle se montre infiltrant secrètement les temples de l’art pour y danser nue, confronter sa silhouette peinte aux objets, inoculer le désir au musée et le mouvement à l’inertie. Ryan Gander déjoue aussi les formes convenues de l’exposition en trouant un mur pour y loger une souris qui s’adresse à qui la trouve. L’inversion des rôles entre regardant et regardé – avec des œuvres qui nous regardent – est également centrale dans l’intervention de Maurizio Cattelan qui fait aussi entrer les animaux dans l’enceinte du musée, on ne vous dira pas lesquels… On n’oubliera pas les espaces du sous-sol – dédiés aux œuvres sonores – et l’extérieur du musée. Pierre Huyghe, Tarek Atoui et Philippe Parreno y ont conçu des œuvres qu’un entrelacement entre son, lumière et matériaux distingue de la traditionnelle exposition d’objets pour proposer d’autres formes d’expériences artistiques.

Féminisme et préfiguration du queer, une aventure photographique des corps

Une galerie consacrée à la photographie confronte plusieurs artistes pionniers des revendications féministes et précurseurs du queer entre les années 1970 et 1990. Michel Journiac, Cindy Sherman, Martha Wilson déverrouillent les codes de représentation publique des corps à travers des actions qu’ils photographient. Ils nous parlent d’un corps façonné par la volonté, produit par les histoires et les luttes et vecteur d’émancipation de soi. Vintage et minimal, l’ensemble de ces clichés détonne, il n’a rien perdu de sa puissance d’évocation dans un monde de selfie et de mises en scène de soi où la norme conditionne toujours autant les représentations.

La peinture à l’honneur

François Pinault collectionne passionnément la peinture, profitez-en ! Conçue dans la tradition de la peinture d’histoire, une allégorie sociale réalisée par Martial Raysse met en scène une centaine de personnages en panoplie d’estivants tassés dans un paysage confus de montagne, de plage et de déchets. Ce tableau au format extraordinaire de trois mètres de hauteur sur neuf mètres de largeur est le prélude de stimulants échanges générationnels centrés sur la figure humaine. Les expositions mettent en perspective des peintres confirmés, voire incontournables s’agissant de peinture figurative (Peter Doig, Luc Tuymans, Kerry James Marshall…) à de jeunes talents nés entre les années 1980 et 1990, parmi lesquels Claire Tabouret, la plus affirmée d’entre eux, a vu sa carrière s’envoler en 2013 avec le regain d’intérêt pour la peinture contemporaine. Une succession d’univers picturaux forment un relais de sensibilités et d’attentions où s’évaluent collectivement les héritages, les histoires artistiques. Nées dans les années 1950, Marlene Dumas et Miriam Cahn font figure d’inspiratrices pour les artistes plus jeunes, tant elles ont su aborder de front le territoire du féminin et de sa sexualité. L’identité travaille aussi les plus jeunes mais elle est abordée par le prisme, plus introspectif et secret, d’une intimité décelée dans les gestes et les attitudes du quotidien. On citera Xinyi Cheng ou encore Ser Serpars (née en 1995), des femmes peintres dont les œuvres sensuelles au chromatisme sourd, acide ou phosphorescent, les effets de cadrage et de plans serrés traduisent une émotion, apportent une vibration toute particulière aux thèmes de l’autoportrait, de la rencontre, de la complicité et du désir.

Imaginaires postcoloniaux

La représentation de la figure humaine en peinture pose aussi celle du corps noir, longtemps relégué dans l’art occidental à celui de l’esclave, de l’étranger, à l’image misérable d’un homme déchu de sa dignité, ou par souci de réparation, à une figure idéalisée de beauté noire. Kerry James Marshall est né en 1955. Les émeutes raciales qui surviennent dix années plus tard à Los Angeles, près du siège des Black Panthers, où il a grandi orientent sa vocation de peintre : donner une visibilité aux africains-américains, narrer leur histoire et leur quotidien en revisitant les modèles de l’histoire de l’art et de la culture populaire. L’intense force psychologique des portraits peints par Lynette Yiadom-Boakye, artiste anglaise née de parents ghanéens, ne repose sur aucune forme de réalisme – les sujets étant toujours imaginaires et situés hors de tout contexte – mais sur une forme de véracité qu’elle recherche par les moyens de la peinture, sa puissance d’incarnation et l’étude des portraitistes qui l’ont précédée (Manet, Cézanne…). Les grandes compositions picturales du brésilien Antonio Oba dégagent une tonalité symboliste inspirée par le syncrétisme culturel de son pays, où les rituels africains se mêlent aux cultes judéo-chrétiens et les puissances de la nature sont également convoquées.

Un programme de rencontres et de visites commentées

Les expositions se prolongent avec une programmation de parole et de rencontre avec les artistes, elle confronte les œuvres à des regards en provenance d’univers différents, issus des champs de la littérature, des sciences humaines, de la recherche… L’élargissement des imaginaires et des points de vue sur le monde est ainsi soutenu, encouragé. Dans cette même volonté d’ouverture et de partage, des visites commentées sont également proposées, accompagnant le visiteur dans sa découverte des œuvres.

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